Vers 1812, le corps principal avait déjà un aspect proche de celui d’aujourd’hui : un rez-de-chaussée, deux étages supérieurs et un niveau d’attique éclairé par dix fenêtres à battants donnant sur la rue et dix autres sur le jardin. Dans la cour se trouvait un puits toujours présent. Les frères Dagoty, qui employaient plus de cent ouvriers, construisirent aussi trois entrepôts et installèrent quatre pièces de stockage, dont l’une était richement décorée de miroirs et d’étagères ornées. La porcelaine Dagoty ne servit pas seulement sur les tables de la bourgeoisie parisienne, mais aussi celles de résidences prestigieuses comme celle du château de Compiègne, du Palais de Versailles et de la Maison Blanche a Washington, D.C. Le cinquième Président des Etats Unis, James Monroe, commanda un service de porcelaine Dagoty figurant l’aigle américain pour les dîners officiels à la Maison Blanche.
La constellation de bâtiments rue de Chevreuse, destinée à une usine de porcelaine, s’avéra bien adaptée à un usage éducatif. En 1834, le lieu devint la maison-mère de l’Institut Keller, la première école Protestante établie en France depuis la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685. Les Protestants français aisés ainsi que les étrangers en séjour en France, envoyèrent leurs enfants à cet Institut réputé. En 1865, par exemple, Charles King, président du Columbia College, y inscrivit son fils pendant que sa famille faisait le tour de l’Europe. En 1886, André Gide, alors âgé de dix-sept ans, vint à la Pension Keller, rue de Chevreuse, vivre une expérience qu’il décrivit ensuite dans Si le grain ne meurt. L’Institut Keller ferma ses portes en 1893.
La propriété attira alors l’attention de la riche philanthrope et activiste sociale Elizabeth Mills Reid, fille du fondateur de la Bank of California, Darius O. Mills, et de la femme du ministre plénipotentiaire américain a Paris, Whitelaw Reid.
Mme Reid s’intéressa au site de la rue de Chevreuse car elle connaissait l’Institut Keller et savait que, près de là, rue Paul Séjourné, existait un club où un groupe d’artistes américains masculins profitait des attraits de la vie culturelle parisienne. Mme Reid voulut rendre ce type de séjour accessible également aux jeunes artistes féminines américaines. Ainsi naquit « le club américain des filles».
Le club fut un grand succès. En 1913, Mme Reid acheta une propriété adjacente et construisit une annexe, qui comprenait sept ateliers d’artistes donnant sur le jardin. C’est le bâtiment qui abrite aujourd’hui l’Institut des chercheurs de l’Université de Columbia. Madame Reid fit également construire la Grande Salle, aujourd’hui utilisée pour les conférences et les expositions, pour relier anciens et nouveaux bâtiments.
Pendant la Première Guerre Mondiale, Mme Reid transforma la propriété en hôpital. La Maison Verte, à présent une salle de classe, fut construite à l’origine pour être une clinique pour soldats blessés. Après l’Armistice, le site resta entre les mains de la Croix Rouge Américaine jusqu’en 1922. A ce moment-là, un groupe de femmes américaines, « Les Dames » comme Mme Reid les appelait, présentèrent un projet pour établir un centre résidentiel pour femmes américaines. La belle-fille de Mme Reid, Helen Rogers Reid, formée au Barnard College et plus tard devenue Présidente du New York Herald Tribune, encouragea le projet. « Les Dames » signataires, ainsi que Mme Reid, de l’acte de fondation intégrèrent Helen Rogers Reid, Virginia C. Gildersleeve (directrice du Barnard College), M. Carey Thomas (fondateur du Bryn Mawr College), ainsi que trois autres femmes formées à Smith, Vassar, and Wellesly. Dorothy Leet, diplômée du Barnard College, fut nommée directrice du centre connu aujourd’hui sous le nom de « Reid Hall ».
Pendant les années 1920-1930, Reid Hall accueillit de nombreuses femmes étudiantes, artistes et professeurs. L’Association Française des Femmes Universitaires (AFFDU), filiale française de La Fédération Internationale des Femmes Universitaires (FIFDU), devint membre de Reid Hall en 1922. Des chercheurs français, des fonctionnaires et intellectuels vinrent au centre franco-américain pour initier les étudiantes à l’étude du théâtre, littérature et aux arts français, et a débattre des questions cruciales de la vie politique française.
Nadia Boulanger fut au nombre de ces conférenciers invités. Au sein de Reid Hall, l’étude rigoureuse était complétée par la riche atmosphère culturelle de Montparnasse. Dans les années 1930, le quartier Vavin était animé par quatre cafés renommés, Le Dôme, La Rotonde, Le Select, et La Coupole, jouant le rôle de foyers pour les groupes d’artistes de toutes disciplines et pays.
L’autre « Ecole », faite de rencontres d’artistes autour des cafés, coexistait avec les étudiants académiques plus traditionnels reçus au Reid Hall. Pourtant, à certains moments, les deux mondes se rencontraient. Par exemple, en 1931, Gertrude Stein fut invitée à la Fête de fin d’année par une artiste logée dans un des ateliers de Reid Hall. Dorothy Leet rapporta que « les jeunes étudiantes furent ravies d’avoir l’occasion de parler a [Stein] », qui n’avait jamais été formellement attachée à Reid Hall.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le centre franco-américain ferma ses portes et le site devint refuge, d’abord pour des universitaires polonaises, puis pour des professeurs belges et, plus tard, pour des étudiantes de L’Ecole Normale Supérieure de Sèvres. Apres la guerre, Dorothy Leet, Virginia Gildersleeve et d’autres amies de longue date de Reid Hall reconstruisirent un centre universitaire, qui accepte aujourd’hui aussi bien étudiants qu’étudiantes.
En 1964, Reid hall fut légué à l’Université de Columbia. Plusieurs professeurs de Columbia, notamment Wm. Theodore de Bary, Bert M-P Leefmans et Robert O. Paxton apportèrent leur contribution pendant la période de transition. En 1975, Danielle Hasse-Dubosc, formée au Barnard College et à l’Université de Columbia, devint directrice.
Aujourd’hui, le « Hall » est dirigé par deux femmes, Danielle Hasse-Dubosc et Brunhilde Biebuyck, directrice du programme Columbia-Penn a Paris.
Grâce à la direction éclairée et active de nombreuses femmes et hommes, Reid Hall a maintenu et développé sa vocation éducative et culturelle. Il accueille aussi bien des étudiants que des professeurs, de jeunes chercheurs comme des intellectuels confirmés, des artistes comme des critiques. L’esprit de Reid Hall reste celui du partage, de l’échange et de la transmission des connaissances.